Si vous suivez un peu l'actualité des réseaux sociaux vous n'êtes pas sans savoir que Elon Musk a racheté Twitter il y a quelques semaines et que depuis c'est un peu la débandade entre licenciements en masse, fonctionnalités mouvantes et refus de la part des employés de continuer ce cirque avec le nouveau boss. C'est au point que cette nuit il y aurait eu moins de 300 personnes à avoir confirmé vouloir rester dans l'entreprise à l'expiration de l'ultimatum/proposition posé par email à tous les employés hier.
Sur Twitter, aujourd'hui, c'est #RIPTwitter et #TwitterDown qui squattent les tendances.
On peut en rire ou en pleurer. 44 milliards de dollars pour en arriver là en moins d'un mois reste quand même un exploit qui fera date dans les anales de l'Internet (à la mémoire très volatile).
Twitter était une source d'information (et de désinformation) pour beaucoup de monde. C'était aussi le site privilégié par beaucoup d'entreprises pour informer le public de l'état des services proposés, des nouveautés et surtout pour assurer leur SAV. Et autant dire que Facebook ne remplacera pas la simplicité d'utilisation de Twitter pour ce genre de choses. Trop de pubs et de fuites en tous genres...
Donc quid de l'avenir ? Que vont faire les entreprises qui ont tout misé dessus ? Y a-t-il une réelle alternative comme Mastodon semble l'être ? Pas si sûr.
L'effondrement annoncé de Twitter est à voir comme une alerte pour tous les particuliers et entreprises utilisant Internet au quotidien : on ne doit pas tout miser sur un seul site... et encore moins quand ce site n'est pas à nous.
Ceux qui ont négligé la fonction de blog de leur site Internet au profit d'une communication exclusive sur les réseaux sociaux vont devoir tout reprendre à zéro. Des années de travail au profit d'une plateforme au lieu de leur propre bénéfice !
Est-ce que les décideurs en tiendront compte ?
Les services marketing et publicité des entreprises envisageront-ils de revenir aux bases à savoir communiquer en priorité chez soi et utiliser uniquement les réseaux sociaux pour informer qu'on a des choses à dire sur nos sites ? Rien n'est moins sûr. Et pourtant c'est la base du référencement naturel (SEO) pour les moteurs de recherche.
Autre point sensible soulevé par les possibles dysfonctionnements à venir de Twitter : les systèmes de "login with machin bidule" qui pullulent sur les services en ligne des startups et autres entreprises proposant des trucs en ligne. La délégation des user/password à des services tiers sans solution interne. Le jour où ces plateformes sautent, plus d'accès utilisateurs. Fin des services proposés.
On a déjà eu des pannes de ce type avec les coupures d'AWS, Google Cloud et Facebook ces dernières années. Rien n'a vraiment changé. Peut-être que cette fois-ci les développeurs et éditeurs de servies en ligne vont réagir et arrêter de confier les connexions à des tiers ? (leur donnant au passage des informations sur leurs utilisateurs et clients)
Arrêtez de dépendre de tiers sur des fonctionnalités primordiales de vos systèmes d'information ou faites appel à des services spécialisés et payez les pour vous assurer de leur viabilité à long terme !
Pour moi, à part la fin d'un projet utopique qui n'a pas su s'adapter face aux automates, arnaques, spams et propagandistes en tous genres, la fin de Twitter ne changera pas grand chose.
Pour la communauté du web ça devrait être une opportunité majeure : il faut trouver un ou plusieurs remplaçants à ce réseau pour les différents usages qui en étaient faits. Les développeurs de sites web devraient se pencher sur la question dès que possible.
On a beaucoup parlé de Mastodon comme alternative à Twitter. En réalité c'est du Fediverse qu'on devrait parler et derrière tout ça la possibilité de fédérer des services de types différents avec un protocole d'échange unique : Activity Pub.
Activity Pub est une norme d'échange d'informations entre réseaux sociaux. C'est basé sur le web et globalement simple à mettre en place. Ca permet qu'un utilisateur d'un réseau compatible suive les utilisateurs d'un autre réseau compatible. Plein de projets sont basés dessus pour du partage et de l'hébergement de textes, d'images et de vidéos.
L'implémentation d'ActivityPub sur les sites Internet existants est à un chantier énorme mais une solution durable pour améliorer encore le partage d'informations sur le net.
Jusque là on utilisait RSS pour diffuser les modifications à des utilisateurs s'abonnant à un site. Désormais on peut directement envoyer l'info sur l'application que les gens veulent utiliser au quotidien. Une seule application pour des usages multiples et tous les sites. N'est-ce pas l'avenir ?
Et tant qu'à faire, on peut même envisager des robots d'indexation se basant sur ActivityPub plutôt que surfant sur les sites et tentant d'analyser leurs contenus ! Remplacer les sitemap.xml par ça serait tellement plus pertinent. Un mélange de textes, images, vidéos avec mise en forme et de schema.org pour le balisage associé à un système de push des mises à jour de contenus. Ça rappelle tellement les PING entre blogs et agrégateurs de flux !
La fin de Twitter devrait changer les habitudes des développeurs de sites et de services en ligne qui doivent absolument arrêter de faire appel aux réseaux sociaux pour tout gérer et rapatrier la gestion de leur communication et leur SAV (ou utiliser des outils dédiés).
La fin de Twitter devrait être une occasion pour les internautes de sortir des réseaux sociaux bourrés de publicités qui n'existent que pour exploiter nos données (mais attention à ne pas reproduire la même chose avec des solutions non sécurisées) à condition de trouver une solution juste et pérenne pour financer les instances de sites dont on va dépendre.
La fin de Twitter doit nous inciter à utiliser enfin des protocoles ouverts comme nous l'avons fait avec les DNS, les emails et le web. ActivityPub est une solution d'échange de données normalisées et même s'il y a des trucs à améliorer (comme le chiffrement des contenus échangés), ça peut être une bonne base de travail entre logiciels et sites.
La fin de Twitter est aussi une grosse opportunité pour les développeurs de logiciels, de sites Internet et les webmasters :
- développez des extensions de sites pour implémenter ActivityPub sur tous les sites web (en complément des flux RSS parfois déjà compatibles avec OStatus, pour diffuser de l'information et échanger avec les utilisateurs/internautes)
- développez des logiciels permettant de faire de la veille technologique sur ActivityPub : s'abonner à des journaux en ligne et d'autres sources d'informations, sur des hashtags ou des personnes sans avoir à s'inscrire à des tas de sites, permettre de partager et commenter ce qu'on récupère de cette façon pour le propager naturellement
- installez les extensions existantes prenant en charge ActivityPub sur les CMS et sites marchands comme WordPress afin de diffuser vos infos de façon transparente à vos utilisateurs sans avoir à vous préoccuper de la multitude de sites et de formats sur lesquels publier
- adaptez les logiciels et la littérature liés à "comment devenir riche, influenceur, le meilleur, gagner des millions de followers en 3 clics" au protocole ActivityPub et aux outils qui peuvent se reposer dessus
- développez des logiciels clients ActivityPub prenant en charge les API des "gros" du Fediverse afin de simplifier l'expérience utilisateur et l'adoption de ces technologies libres
- développez des "outils marketing" pour retrouver les statistiques déjà fournies par les réseaux sociaux ou logiciels dédiés aux community managers
- proposez des systèmes d'automatisation de publication ou suivi de contenus
- proposez des hébergements ou des systèmes packagés pour héberger les principaux outils liés au Fediverse (réseaux sociaux ou autres, pour la plupart open source et à utilisation commerciale autorisée)
- formez les internautes, les développeurs, les décideurs à ces technologies et sites
- et au passage ajoutez en une couche sur RGPD, sécurité des données, risques au niveau de la modération et de la pérennité de ce qu'on écrit sur une instance d'un réseau fédéré dépendant parfois d'un particulier pouvant tourner au despote pas au fait des lois concernant l'édition de sites web où des internautes peuvent s'exprimer en privé ou en public...
La fin de Twitter, si elle arrive, doit vous faire réagir. Et même si ce réseau social survit à la crise en cours, vous vous devez de penser à la pérennité et à la réduction des dépendances au niveau de vos activités principales. C'est vital pour tout ce qui touche à Internet et parfois même au delà !
Et franchement, si on passe directement au Web 4 qui pourrait enfin être un vrai réseau mondial d'échange libre et facile en oubliant le Web 3 en route, ça ne sera pas forcément plus mal pour la planète et le partage collectif des connaissances.